Le Livre du Bain
Le Livre du Bain de Françoise de Bonneville
Histoire d’eau
Si les ablutions ont toujours existé, en revanche, le bain ou la douche sont très récents, et pour une bonne raison: l’eau ne commence à arriver dans les immeubles qu’après la seconde moitié du XIXe siècle et encore… seulement dans la cuisine. Il faudra attendre le début du XXe siècle pour que naisse la salle de bains.
Bien avant, la nature a toujours offert la fraicheur des mers, des rivières, des lacs et le bienfait des sources, dont certaines lui faisait même la grâce d’être chaudes.
L’eau purificatrice
La relation entre la valeur purificatrice de l’eau et les ablutions sacrées apparaît dès que les hommes s’inventent des dieux et des rites pour les adorer. Se purifier dans une eaux limpide avant de leur rendre hommage fait partie des cérémonials de toutes les mythologies, depuis l’antiquité.
L’eau symbole de régénération et de renaissance
L’eau est symbole de régénération et de renaissance. Plonger dans l’eau, c’est retourner aux sources de la vie, et depuis la psychanalyse, à la vie utérine.
De nos jours, chacun possède à la maison une fontaine de Jouvence en sa douche ou le robinet de son lavabo, tant il est vrai que l’eau réveille, rafraîchit et rajeunit le visage.
Au rêve de régénération par l’eau est souvent lié l’espérance de guérison. En Grèce, les vertus curatives de l’eau sont connues et prescrites depuis Hippocrate. Les romains, en dehors des thermes, ont édifié de nombreux bains sur des sources.
Au XIXe siècle, avec l’influence prédominante de la médecine, la mode des cures thermales se développa, faisant des stations de thermalisme et d’hydrothérapie, les villégiatures de l’élite.
Toutes les images ancestrales de l’eau furent balayées par les découvertes scientifiques et techniques. De sacrée et rituelle, l’eau est devenue « hygiènique »; un produit industriel payant et normalisé. Pourtant, cette conquête de l’eau n’a pas effacé de nos mémoire toute symbolique. Les rapports à l’eau et les critères de propreté sont d’essence culturelles et l’eau du bain ne se réduit pas à son seul symbole chimique: H₂O.
BAINS PUBLICS
Plaisir lointain, le plaisir du bain s’est toujours partagé entre bains privé et bain public d’une part, entre bain d’immersion et bain de vapeur d’autre part. Selon les époques et les civilisations, l’un prit l’ascendant sur l’autre, révélant ainsi, à un moment donné, la nature des relations de l’eau avec le corps et des soins qu’on lui accorde. Jusqu’au XIXe siècle, les bains collectifs et publics furent presque toujours des bains de vapeur dont l’usage reflète presque toujours un idéal, une philosophie ou des préceptes d’une religion. Ces bains de vapeur prennent leur source avant l’antiquité, aux confins de l’Orient. Il arrive en Grèce autour du VIe avant J.-C. ou, associé au gymnase, il donnera naissance aux thermes. Par le nord, il gagnera la Russie et les pays scandinaves. Par le sud, il rejoint l’Asie Mineure ou les musulmans inventeront le hammam. Il se répandra en Espagne avec l’invasion arabe au IIIe siècle, puis en Europe , grâce aux croisés (XIIIe siècle).
Ces deux types de bains de vapeur (chaleur sèche et chaleur humide) persistent encore aujourd’hui, dans les pays nordiques et le monde arabe. Plus qu’un simple bain de vapeur, c’est un état d’esprit et une culture.
Grece
L’histoire des bains publics commence en Grèce, au VIe siècle avant notre ère, avec la pratique de l’entrainement physique. Les premières installations sont en plein air, à l’ombre des oliviers. Elles se composent de vasques posées sur un pied à la hauteur des anches pour s’asperger facilement.
Par la suite, les bains seront intégrés aux gymnases.
Eau chaude et vapeur font partie des bains. Les bains sont ornés de mosaïques, les sols sont dallés de pierre ponce pour ne pas se brûler les pieds.
Rome
Les thermes romains comptent parmi les plus impressionnants témoignages de la sophistication inouïs à laquelle était arrivé l’art du bain. Jamais plus il ne donnera lieu à un tel déploiement de luxe et de moyens. Les romains fréquentent les thermes pour garantir leur santé, pour être propre et surtout par plaisir. Au fil des années vont s’adjoindre diverses activités: piscines, aire de sport et de jeux, jardins, bar, restaurant, salons, bibliothèques, théâtres…
Les architectes vont élever toujours plus haut les coupoles et agrandir les baies serties de verres colorés, qui filtrent le soleil en baignant l’intérieur de lumière douce. La décoration intérieure est luxueuse: colonnes de granit ou de porphyre, murs ornés de stucs et de filets d’émail où courent des corniches ciselées, sièges et vasques aux pieds sculptés; au sol, du marbre blanc; des mosaïques partout, même au fond des bassins, illustrant la faune, la flore et les divinités des mers et des rivières. Ce luxe est destiné au plaisir de tous sans exclusion car construits sur les deniers de la commune ou de l’état. Ce goût de l’eau, les romains l’ont transmis partout où ils sont passés.
IVe siècle
Depuis l’ère chrétienne, les thermes ont mauvaise réputation et sous-entendent par leur déploiement de luxe, un matérialisme et, par la nudité, une attention au corps teinté de sensualité et de péché, que l’église condamnera farouchement.
Les thermes sont peu a peu délaissés et ne demeureront que le témoignage d’un savoir faire perdu… pour des siècles. Il faudra attendre le Moyen Age pour qu’a partir du XIe siècle, l’on redécouvre les plaisirs des bains collectifs.
Moyen age
De nombreuses miniatures du Moyen Age représentent des bains publics peuplés de femmes accompagnées d’hommes barbotant nus dans des cuves d’eau chaude et banquetant joyeusement.
Les hommes se font raser, les femmes se parfument ou s’épilent.
Les étuves publiques ont rouvert leurs portes et la culture occidentale a redécouvert le plaisir des bains.
Au cours des premières croisades, les occidentaux ont découvert les raffinements du bain oriental qui, a Byzance, avait survécu à l’empire romain.
A ces découvertes lointaines, il faut ajouter l’évolution des mœurs. L’univers chevaleresque valorise les exercices physiques: les joutes, la natation et les bains en particulier.
Pouvaient s’ajouter selon le statut de l’étuveur (étuveur simple ou barbier-étuveur), les services classiques de pose de ventouses, massages, épilation, coiffure, taillage de la barbe. A ces soins, on pouvait associer des services d’hôtellerie.
Partout en occident, ces établissements font partie de la vie quotidienne.
Un grand nombre d’étuves tiennent lieu de maison de rendez vous.
Les injonctions de l’église se font de plus en plus pressantes. L’apparition des grandes épidémies de peste et la montée de la syphilis, l’eau et les bains chauds, par méconnaissances médicales et scientifiques, acquièrent mauvaise réputation. Les bains publics ferment peu à peu. En France, le glas sonne avec les états généraux d’Orléans qui exige la fermeture de toutes les maisons de prostitution… donc des étuves en général.
Pendant presque deux siècles les plaisirs du bain sont oubliés.
Pas de bain pendant 200 ans
La simplicité avec laquelle on montrait son corps nu aux yeux des autres disparaît.
La toilette se résume à des gestes d’ablutions partielles et privées, principalement du visage et des mains.
A la place on va se parer et user d’artifice.
Au début du règne de Louis XIV, il ne reste plus que deux étuves publiques répertoriées spécialisé dans les bains de vapeur thérapeutiques, dans l’art de l’épilation et des rendez vous galant. Ces établissements luxueux cachait les rencontres secrètes de la haute société.
A la fin du XVIIe siècle, quelques nouvelles étuves ouvrent sous l’instigation de médecins qui dispense des « bains vaporeux », dans un établissement entouré d’un jardin de plantes médicinales.
Pour les inconditionnels du bain, restent les rivières ou les stations thermales prescrits par les médecins à des fins uniquement thérapeutiques.
Les bains en rivière garderont les faveurs de la Faculté, pour les vertus revigorantes et astringentes de l’eau froide. Le peuple ne s’en privera pas. Les rois de France et leur proches non plus. En 1688, apparaissent les premiers bains de rivière organisés (vestiaires, location de serviette, de chemises) dans des espaces de baignades matérialisés.
A partir du XVIIIe siècle l’installation de piscines contribuera à « réapprivoiser l’eau et les bains dans la vie quotidienne.
Autour de 1750, dans l’aristocratie, l’eau refait doucement son entrée pour la toilette et annonce le retour des bains publics!
Les femmes abandonnent progressivement l’artifice, les vêtements carcans, le maquillage et les perruques. Il faut permettre la respiration avec les éléments: l’air et l’eau, et la complicité du savon, dont on commence à venter les vertus.
Ce regain du naturel et de l’exercice physique, qui va induire le retour des bains, s’appuie sur les théories nouvelles de la philosophie des lumières, Rousseau, Diderot et Voltaire en France. A celles-ci s’ajoutent les discourt d’un nombre grandissant de médecins.
Des établissements luxueux vont se multiplier au XIXe siècle, et associeront souvent des piscines aux cabines de bains. La natation devient alors du dernier chic.
Les bains piscines: Ce sont eux qui ont le plus contribué au renouveau des bains, car ils offrent en plus le plaisir de l’eau et la convivialité, qui furent, toutes époques confondues, à la source de la fréquentation des bains publics.
Ayant pris un certain goût à l’exercice et aux bains, la clientèle aisée, commence à découvrir les bord de mer et renoue avec les villes d’eau. L’age d’or des stations thermales commence. On découvre les bains de mer, de soleil et de sable, nouvellement mis à la mode.
En ville, les bains et piscines déclinent. Il reste que ces piscines contribuèrent à retrouver les sensations de l’eau sur le corps, qui avait été si longtemps oubliées.
XIX Les bains à l’orientale
Les européens redécouvrent les bains de vapeur auxquels ils avaient déjà gouté par deux fois, dans les thermes antiques et dans les étuves médiévales.
Manifestation de la russophilie alors très à l’honneur, les bains russes font partie de ces luxueux bains à l’orientale. Ce qui séduit le plus les européens d’alors, ce sont les bains maures ou bains d’étuve, rebaptisés bains turcs et particulièrement le huis clos du bain des femmes et l’idée sous-jacente du harem.
Les écrits des occidentaux qui se sont rendus à cette époque en Orient font découvrir le luxe de ces lieux, le raffinement donné aux soins du corps. Ce qui frappe ces pionniers, en accord avec la pudibonderie entretenuen dans la culture occidentale, par la religion et la morale bourgeoise, c’est l’aisance des baigneuses face à la nudité, la volupté des soins et le brassage social alors impensable en Europe.
Des bains publics aux bains douches
Fini le plaisir, le luxe, la volupté… vive l’hygiène et la propreté qui deviennent le credo des instances publiques pendant tout le XIXe siècle et le premier tiers du XXe siècle.
Tandis que les installations privées de bains au sein de la bourgeoisie se développent, les bains publics deviennent des établissements populaires voués aux bains de propreté, stricto sensu.
Au milieu du XIXe siècle apparaissent en Angleterre des bains publics associant lavoirs et bains.
Les premiers établissements britanniques s’ouvrent d’abord à Liverpool, ou la population ouvrière est nombreuse, puis à Londres, où le Mord Mayor, déplorant une carence affligeante de bains publics à bon marché, réunit des fonds pour construire un premier établissement constitué d’une baraque en bois avec lavoirs et cabines de bains à l’eau froide. Le second est, semble-t-il, un peu plus confortable, avec des lavoirs à eau chaude, cent sept cabines de bains douches dotée d’un service de serviette, des bains de vapeur et une piscine. Malgré le succès énorme de cette initiative, le nombre de bains publics ne sera jamais très important.
En Allemagne, les premiers bains publics conçus sur ce modèle apparaissent en 1855 sur le modèle anglais. À fur et à mesure, on ajoute des bains en cabine particulières de 1ere et 2eme classe. Malgré des tarifs réduits, ces établissements resteront trop élevés pour fidéliser la majorité de la population.
En outre, comme en Angleterre, au milieu du XIXe siècle, les allemands aisés commencent à découvrir le bain à domicile.
En France, c’est sous le second Empire et surtout sous la très longue IIIe République que l’histoire du bain public va entrer dans une ère aux allures de campagne de salubrité, rayant toute idée de loisir et de plaisir, pour ne garder que l’apprentissage des gestes élémentaires de l’hygiène.
Pour convaincre le plus grand nombre, on commence par rendre abordable à tous le prix des bains publics.
XXe siècle
Au seuil du XXe siècle, le bain sera remplacé par la douche, considéré désormais comme « le bain du peuple ». l’idée de la douche populaire est née en Allemagne dans les année1870. En France, les premiers bains-douches municipaux ouvrent à Bordeaux, puis à Paris dans la rue de Belleville. Succès immédiat, avec de plus en plus de femmes, réticente jusque la à se déshabiller dans un lieu public.
En 1900, les « bains-douches » publics sont devenus une institution populaire. Leur construction progresse dans les quartiers les plus pauvres. Les campagnes ayant été négligées, le gouvernement de la IIIe République continuera inlassablement d’en construire jusqu’au seuil de la seconde guerre mondiale.
Dans les années soixante, le bain public a cédé au bain privé. En France, le bain-douche municipal populaire d’entre les deux guerres a fermé ses portes, ne laissant à nos mémoires que la poésie désuète d’une enseigne au dessus d’un bâtiment, quelquefois réhabilité si l’architecture en valait la peine.
Les bains publics font désormais partie du passé? Pas si sûr, car dans touts les capitales occidentales, mutation de civilisation oblige, ils rouvrent leurs portent, tentant de remplir à nouveau, pour une clientèle marginale, leur rôle convivial et social.